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La réconciliation nationale en Guinée : un débat mal posé et inopportun

Le sujet qui titille aujourd’hui la population guinéenne est le débat sur la réconciliation nationale entre les différentes composantes de la couche guinéenne. Ce sujet fait l’objet des passions parfois compréhensibles sur le plan humain et de la justice, mais incompréhensible aussi tant les objectifs sont flous et suscitent des rancœurs pouvant aboutir à déchirer les peuples guinéens plutôt que de les rapprocher dans leur destin commun. Ainsi on peut se demander de la consistance de ce débat.

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A-t-il pour objectif la lutte contre l’impunité
qui a émaillé notre histoire (Guinée) à travers des dictatures qui ont institué l’impunité juridique comme mode de gouvernance ?
A-t-il pour objectif d’utiliser ce passage sombre de notre histoire pour des ambitions politiques pouvant conduire à revivre les haines d’antan ? Et surtout, on peut se demander de l’opportunité de ce débat tel qu’il est posé aujourd’hui dans la transition politique heureuse amorcée dans notre pays ?

Débat compréhensible pour lutter contre l’impunité en Guinée

Il serait de mauvaise foi de ne pas reconnaître que l’histoire de notre pays a connu des exactions injustifiées qui sont restées impunies de la part des régimes qui en ont fait un model de gouvernance. L’on ne peut pas nier qu’il y avait des innocents au camp Boiro sous le régime de Sékou Touré, comme il y avait tout aussi des traitres de la Nation guinéenne, mais la sanction qui leur a été infligée fût disproportionnée, donnant lieu à des pendaisons et certains ont croupi dans les prisons avec tous les traitements dégradants sur la personne humaine. Quel que soit le crime dont ils étaient coupables au regard de la révolution qui prévalait jadis, rien ne pouvait justifier le traitement qu’on infligeait aux prisonniers politiques. Ceci étant, peut-on mettre la responsabilité de ces crimes sur une personne ou sur une ethnie parce que le chef de fil était de telle ethnie ou de telle famille ? La réponse est négative pour une personne bien réfléchie, car le régime de la révolution avait un idéal de gouvernance dans lequel il fût aidé par les intellectuels de l’époque, parfois plus durs que le chef lui-même. D’ailleurs, la plupart des victimes ont été des bourreaux avant d’être des victimes du système qu’ils ont aidé à fonder et à entretenir. A rappeler que Monsieur Télli Diallo fut le Ministre de la justice de Sékou Touré avant de sombrer lui-même en lieu et place des personnes condamnées sous la responsabilité de son ministère. Il serait mieux que son fils, Teirno Telli Diallo, faisant grève de la faim pour la vérité sur la mort de son père, inscrive ce combat salutaire dans un cadre général pour toutes les victimes de camp Boiro. Tout comme Monsieur Diarra Traoré qui fût un bourreau du système « Conté » avant d’en être une victime, pour ne citer que ces exemples emblématiques car la liste est longue. Il serait tout aussi important de déconnecter ce passage regrettable de notre histoire du combat ethnique, car toutes les ethnies guinéennes ont perdu des hommes pendant la période de la révolution, et les bourreaux n’étaient pas d’une seule ethnie ou d’une seule famille.

Ce qui vient d’être dit vaut aussi pour le régime de Lansana Conté qui aurait fait autant de victimes que pendant la révolution de Sékou Touré, semble-t-il, même si l’on en parle moins. Les évènements du 14 juillet 1985 avec ses cohortes des violations et des tueries, n’ont pas été commis que par des Sousous contre les Malinkés, il y avait aussi des malinkés, des peuls et des forestiers qui faisaient partis des bourreaux tout comme ces différentes ethnies faisaient parties des victimes directes et indirectes du système. Ce qui vient être dit vaut aussi pour la révolution malmenée de Monsieur Moussa Dadis Camara. Celui-ci est aussi un produit du système Conté qu’il a défendu avant de faire le coup d’état à la mort de ce dernier.

Nous devons accepter les repentis à condition qu’ils regrettent et qu’ils œuvrent désormais dans le bon sens. Il faut plutôt voir par-là un problème dans les différents systèmes et surtout la malhonnêteté de l’Elite guinéenne et ses cadres corrompus. Ainsi, pour pouvoir bien traiter le mal, il vaut mieux  éradiquer  l’impunité dans tous les domaines de la vie publique guinéenne. Eradiquer l’impunité pour les crimes politiques, civils et économiques pour tous les guinéens qu’ils soient hommes politiques ou simples citoyens, en un mot instaurer l’Etat de droit et non un Etat ethnique et clanique.

Débat incompréhensible pour les objectifs politiques malsains

La réconciliation est définie comme mécanisme permettant de remettre d’accord des personnes brouillées,  faire accorder entre les personnes des choses apparemment opposées, il s’agit des peuples ou des ethnies dans le cadre de notre débat. Définie comme telle, dans le cadre de la Guinée, peut-on dire que les différentes ethnies guinéennes sont brouillées, sont-elles opposées sur tout dans leur pays ? La réponse est négative à mon sens même si l’on constate la prégnance du phénomène ethnique en Guinée, parce que ces divisions ethniques sont attisées par les manœuvres politiques plutôt qu’une véritable fracture sociologique comme se fut le cas au Rwanda ou raciale comme en Afrique du Sud.

Il est évident que la Guinée est composée de différentes ethnies avec souvent comme barrière la  langue, mais les ethnies ont toujours bien cohabité dans le respect. Pour cela il suffit de voir le mariage entre ces différentes ethnies et la migration des unes dans les régions traditionnelles ou d’origines des autres. Il s’ajoute à ces éléments de bonne cohabitation dans le respect de la différence, que 70% des guinéens s’expriment dans au moins deux ou trois dialectes ou comprennent l’essentiel de ces dialectes. Alors, comment expliquer les crises ethniques en Guinée qui sont en fonction des circonstances sociopolitiques ?

Il a existé en Guinée des crises ethniques voire même des affrontements ethniques violents. Mais ces haines ethniques ont toujours été consubstantielles aux crises politiques de notre pays attisées par des politiciens en perte de vitesse, à la conquête du pouvoir et à la recherche d’une bonne image après avoir contribué à appauvrir le peuple en se cachant derrière leurs ethnies en manipulant celles-ci. D’ailleurs la répartition électorale en Guinée est en fonction de l’ethnie, cela est imposé par les architectes politiques comme étant une ethnocratie pragmatique. L’histoire nous a montré que l’ethnie a été le moyen de se maintenir au pouvoir en Guinée même en ayant un bilan calamiteux de gestion des affaires publique, en montrant à son ethnie qu’on est critiqué parce que les autres ethnies voudraient qu’un de leurs membres soit au pouvoir. L’histoire nous a enseigné que l’ethnie est un instrument de conquête de pouvoir ; les politiques sans scrupules ne peuvent s’empêcher de se servir de l’ethnie pour accéder au pouvoir, en montrant à celle-ci que la cause de leur malheur est

le régime en place ; Elle nous a aussi enseigné que l’ethnie peut tout pardonner à un de leur quelque soit le crime commis par ce dernier ! Elle se fédère derrière le malfaiteur, parce que celui-ci serait persécuté à cause de son appartenance ethnique plutôt qu’à cause de son crime de détournement des deniers publics, faisant de celui-ci un héro dont l’ethnie s’identifierait. C’et malheureux pour le peuple guinéen.

En effet, dans ce jeu politique le perdant est le peuple. Il est souvent manipulé par les politiques qui s’appuient sur lui pour atteindre leurs desseins politiques. Il serait plutôt mieux de remettre le débat sur le terrain de la réconciliation du peuple avec la vérité, en réconciliant la politique avec la morale et la responsabilité, transcendant par-là les clivages ethniques en jugeant sur le projet de société et les résultats concrets des projets sur la vie des guinéens. En mon sens, ce débat de réconciliation nationale est mal engagé et son objectif est mal défini, au demeurant la période est inopportune.

Débat inopportun dans la phase politique actuelle de la Guinée

Dans l’élan politique actuel de la Guinée, un débat sur la réconciliation nationale mal posé sera contreproductif, car il ressortirait dans les placards les haines de l’histoire et le risque serait de faire échouer la transition démocratique tant espérée par les guinéens. Disant cela, je ne veux pas dire qu’il faut gommer les crimes de l’histoire de notre pays bien au contraire, mais il faudra cadrer le débat en le mettant dans le cadre des responsabilités individuelles et non pas dans le cadre des responsabilités ethniques. D’ailleurs, pourquoi c’est maintenant que ce débat prend de l’ampleur et pas avant, pourtant les opportunités n’ont pas manqué depuis la mort de Sékou Touré et depuis la mort de Lansana Conté ? C’est pourquoi je suis dubitatif sur les objectifs réels des défendeurs déterminés de ce débat. En tout état de cause, ces crimes sont une affaire de justice et non une affaire ethnico-sociologique. Une fois les bases démocratiques posées en Guinée, rien n’empêcherait un citoyen ayant un intérêt légitime à poursuivre les criminels de l’histoire, les vivants répondront dans ce cas de leurs actes et ceux qui sont morts seront condamnés symboliquement avec un effet positif sur la conscience nationale, que plus jamais aucun crime ne restera impuni en Guinée.

Dans la situation actuelle fragile que traverse la Guinée dans le cadre de la transition politique pouvant aboutir aux élections démocratiques une fois dans son histoire, un tel débat mal structuré et mal engagé risque de déchirer les populations plutôt que de les rapprocher. Il serait important de mettre les politiciens en garde, lors des campagnes présidentielles et législatives à venir, si tout se passe bien nous le souhaitons ardemment, de toute incitation à la haine et la division. Ces politiciens doivent se consacrer à leurs projets de société, mais ils ne sont pas des historiens, encore moins ils ne représentent pas l’institution judicaire de la Guinée. L’on n’instrumentalise pas la haine du passé pour prétendre gouverner l’avenir d’un peuple indivisible et inséparable pour le meilleur et pour le pire. Pour cela nous les appelons à plus de retenue, d’honnêteté intellectuelle et du sens de responsabilité politique en rassemblant la Guinée plutôt que de chercher à la diviser pour des intérêts égoïstes.

En guise de conclusion, je dirais que, malgré quelques pages sombres de notre histoire que nous devons assumer collectivement, les guinéens doivent faire preuve d’intelligence et de retenue dans la phase délicate ouverte de notre histoire. Pardonner un crime ne veut pas dire approuver celui-ci, c’est une preuve de tolérance, et parfois le pardon est plus efficace que la sanction coercitive, sinon il n’y aurait pas des récidivistes après des châtiments sur eux dans le monde judiciaire. Aucun pays, aucun Nation, ne s’est construite en sanctionnant toutes les erreurs et les fautes des fils dans le passé, il a fallut un moment pardonner en tirant les conséquences et des conclusions positives des erreurs du passé commises par les uns et les autres pour avancer ensemble et avec les bons et avec les mauvais. La Guinée ne fera pas l’exception de ce pragmatisme de la construction d’une Nation forte. Disant cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas réparer ce qui peut être réparé sans mettre en péril la cohésion sociale. La sanction en droit poursuit une utilité et une efficacité, elle serait contreproductive si elle provoque d’autres douleurs plus graves que celles qu’elle est censée réparer, c’est cela même la notion de la prescription en droit pénal. Donnons un bon exemple, envoyons un signal fort de la lutte contre l’impunité, mais évitons de déchirer la cohésion fragile de notre peuple.

Abdoulaye Kouyaté Docteur en droit

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