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Ne touchez pas à mon 28 septembre
La vie des nations est mieux campée dans le temps et l’espace en tenant compte des protagonistes de premier plan que sont le peuple, la culture et les évènements. Dans le cas de la Guinée, plusieurs personnes se sont essayées au cours des dernières décennies à réécrire l’histoire aux fins de la plier à leurs desseins et de s’y tailler une place indue. L’on en est venu maintenant à des coups de canif dans les pages fondamentales de notre histoire. Ce qui pose problème.
La longue nuit coloniale s’illumina soudainement le 28 septembre 1958 lorsque le peuple de Guinée sauva la dignité du continent tout entier en refusant à l’histoire de retenir que tout un continent choisit de rester dans l’esclavage au lieu d’arracher sa liberté à lui présentée comme par défi lancé sous forme de referendum d’auto-détermination.
Un bref tour d’horizon en Afrique et ailleurs est édifiant en termes d’identité nationale et mémoire collective des peuples. Voyons un peu.
Il y a près d’un siècle que Ben Badis s’élevait contre un intellectuel français qui osa proférer l’hérésie suivante : « j’ai interrogé les cimetières ; les morts m’ont répondu que l’Algérie n’avait pas d’histoire. » Mesurant l’ampleur du mépris et de la turpitude, Ben Badis forgea le slogan « L’Islam est notre religion, l’arabe est notre langue, l’Algérie est notre patrie. » En voilà une harangue qui galvanisa tout un peuple dans le combat pour l’indépendance nationale. Istiklal Al Jazair! Et la parole passa aux armes à la Toussaint de 1954. Avant de revenir sur l’épilogue glorieux de ce défi martial, notons que chez nous, c’est la démarche inverse que des pseudo-intellectuels au dessein sinistre entreprirent. Sans même interroger ni les cimetières ni les archives françaises, ils se proposèrent d’enrayer notre histoire et de nous livrer à la risée de ceux-là mêmes qui veulent faire accréditer l’idée selon laquelle notre histoire et notre civilisation ne comptent pas. Ce n’est ni la première ni la dernière tentative de substituer la portée historique du referendum de 1958 par un quelconque fantasme concocté par les forces réactionnaires de nos contrées. C’était cela le motif principal de ceux qui orchestrèrent la tragédie sanglante de 2009, ô comble de sacrilège, au stade du même nom ! Au demeurant, sous leurs arguties et diatribes tant ressassées jusqu’à la lie à propos de torts « subis » et griefs à assainir, il n’y a que vide et vent.
De complices de l’occupation étrangère ont toujours été présents sur la scène du crime.
L’Algérie eut donc ses harkis ; Cuba, ses anticastristes et le Nicaragua, ses contras. A contrario, la Guinée n’eut point de renégats selon le mythe insidieux et pernicieux colporté par certains autoproclamés porte-parole d’une partie de la population. Comment expliquer à l’Afrique, au reste du monde et à nous-mêmes que des consorts du Marechal Pétain, de Moise Tshombé et d’Ahmed Chalabi n’aient jamais existé chez nous ? Que les puissances occidentales comme la France et le Portugal pouvaient organiser l’agression militaire de 1970 contre la Guinée sans aucun complice intérieur ou extérieur ? Hors, à date, tous ceux qui furent condamnés pour haute trahison sont d’office catalogués comme victimes d’une dictature impitoyable, de justice sommaire, de règlements de compte, etc... Bien sûr qu’il y eut certaines victimes innocentes de l’Etat, mais ce ne sont pas toutes les personnes déclarées telles qui l’étaient en réalité. Dès lors que personne ne pourra jamais établir et faire admettre par les conjurés et leurs descendants qui a fait quoi, le cynisme est poussé au-delà de l’outrance jusqu’à jurer qu’il n’y ait eu que de pauvres victimes ignares de tout ce qui se trama et se joua dans l’ombre ou en plein soleil. En connivence avec la France néocoloniale, ces mêmes renégats et leurs héritiers biologiques et idéologiques se sont toujours emmitouflés dans le linceul des « victimes » pour poignarder les autres.
Plus grave encore, la nation sera bientôt dépouillée de sa date de naissance grâce à la vénérable commission de réconciliation nationale. Celle-ci propose dans son rapport préliminaire publié en mai 2016, ni plus ni moins que de dévaluer la date la plus importante de l’histoire de la nation : le 28 septembre 1958. Sa proposition d’en faire une journée nationale de repentir, de pardon et de réconciliation équivaut tout simplement à renier le vote massif pour le non par lequel le peuple de Guinée rejeta la constitution de la 5eme république française demandant aux peuples des colonies françaises d’Afrique de choisir entre la liberté et la vie sous domination étrangère. Fier et digne fut notre peuple qui sauva la mise pour notre continent et tous les peuples opprimés de l’époque. N’eût été le choix quasi-unanime des Guinéens de l’époque, l’histoire aurait retenu que tout un continent manqua de courage au moment le plus crucial de son destin. La commission en cédant aux multiples requêtes formulées pour cette nouvelle désignation du 28 septembre est tombée dans le même piège qui causa l’effusion de sang et la perte de tant de vies à la même date en 2009. Comme toujours en pareille circonstance, il y en au moins un qui y voit clair ; ce jour-là, c’était un certain Alpha Condé qui ne fut pas de la partie. L’obsession de certains nostalgiques de la période coloniale et féodale, la haine atavique des mêmes contre Sékou Touré, le héros de l’indépendance nationale et peut-être aussi la jalousie de n’avoir pas eu un des leurs dans ce rôle combien épique, toutes ces raisons lugubres et inconfessables, dis-je, expliquent cet acharnement sans relâche contre les pages les plus brillantes de notre histoire et les hommes qui en étaient les auteurs.
Le 5 juillet 1830, l’armée conquérante française contraignit le souverain Algérien, le Dey à signer la capitulation plongeant le pays dans l’abysse d’une longue et traumatisante colonisation. Les derniers huit ans des 132 de cette descente aux enfers furent marqués par une guerre de libération autant meurtrière qu’inévitable. A l’issue d’âpres négociations avec la puissance coloniale battue à plate couture sur tous les théâtres d’opérations militaires, des Aurès à la Kasbah, le Front de Libération Nationale (FLN) et le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) signèrent avec le gouvernement français les accords dits d’Evian en Mars 1962, entérinant de jure l’indépendance de l’Algérie. Les héritiers de l’Emir Abdel Kader étaient bien avisés de choisir le 5 juillet 1962 pour proclamer l’indépendance et la souveraineté nationales retrouvées après leur confiscation par la France depuis le 5 juillet 1830. La foi et le combat de tout un peuple firent pièce à l’alliance sacrée du sabre et du goupillon. L’aller et le retour à la même date. Le sang de Mehdi Ben Larbi, d’Ali Lapointe, de Didouche Mourad et des deux millions d’Algériens tués pendant la guerre n’en valait pas moins. Qui dit autrement ?
Autres cieux, autres temps, même principe. Le prince héritier de l’empire d’Autriche-Hongrie, l’archiduc François-Ferdinand et son épouse furent assassinés dans un attentat perpétré par des jeunes bosniaques à Sarajevo dans la matinée du dimanche 28 juin 1914. Cet attentat doublement meurtrier mit le feu aux poudres, déclenchant ainsi la première guerre mondiale qui se termina par la défaite et le démembrement des empires allemand, austro-hongrois, ottoman et russe. La fin de la conflagration du début du XX siècle fut consacrée par un armistice paraphé dans un wagon dont on entendra parler plus tard et scellée par un traité de paix signé à Versailles le 28 juin 1919, date symbolique s’il en était, choisie par les puissances alliées pour consigner les lauriers des vainqueurs à la postérité.
Moins de 21 ans plus tard, l’Allemagne chercha à laver l’offense en envahissant la France en quarante jours de campagne éclair. Pour savourer sa revanche, l’Allemagne requit comme cadre de la capitulation française le wagon de l'Armistice, cette même voiture de chemin de fer dans laquelle fut signé l'Armistice du 11 novembre 1918 entre l'Allemagne, la France et ses alliés. Après quarante jours de combat seulement, la première contraignit la seconde humiliée et meurtrie à y monter pour signer sa défaite le 22 juin 1940. Notons que les deux cérémonies de signature d’armistice eurent lieu en sens inverse l’une de l’autre, mais au même endroit entre l'Allemagne et la France, à la clairière dite de l’Armistice dans la forêt de Compiègne dans l'Oise.
En Guinée, le destin détermina le cours des évènements de tragiques à heureux dans un ordre aussi parfait. L’Almamy Samory Touré, le plus grand chef militaire et politique noir que les français affrontèrent en Afrique fut arrêté par les troupes conquérantes françaises le 29 septembre 1898. A l’issue de soixante années jour pour jour de colonisation directe, le peuple de Guinée, sous la houlette des pionniers de la libération nationale, vota massivement « non » le 28 septembre 1958 à la proposition de continuité de ladite domination étrangère sous une forme plus néocoloniale. Cette revanche historique était doublée du privilège d’être le seul peuple africain à sauver la dignité de tout un continent en arrachant son indépendance alors que les autres colonies sœurs n’osèrent franchir le pas. Autrement, l’histoire aurait retenu que mis devant le choix entre la pauvreté dans la liberté et l’opulence dans l’esclavage, les africains sans exception optèrent pour le second terme aussi chimérique que dégradant. Le martyr de l’Almamy Samory Touré, de l’Almamy Bocar Biro Barry, d’Alpha Yaya Diallo, de Dinah Salifou et de Nzébéla Togba n’aura pas été vain. Sacré 28 septembre pour tous les peuples noirs ! Vaillant peuple de Guinée ! Bien-aimée patrie africaine !
La stature morale des deux co-présidents de la commission de réconciliation les place au-dessus de la mêlée, mais ne leur confère nulle autorité pour enrailler l’acte de naissance de la nation. Ni le nombre de personnes consultées ni celui des documents lus ne légitime l’atteinte à la date sacrée du 28 septembre. Le spirituel ne saurait empiéter sur le temporel sans conséquences et vice-versa. La noble mission de réconciliation nationale, non plus, ne saurait servir de couverture pour défigurer notre histoire au goût et à l’avantage de ceux qui visent plutôt à nous diviser et se hisser avec les leurs au sommet de la république. Ne creusons pas davantage le fossé entre les fils du pays en s’en prenant au 28 septembre ou au 2 octobre pour tout simplement céder à la surenchère des irréductibles, des haineux et des renégats travestis en « victimes ». Désavouer les Guinéens qui votèrent pour notre liberté en 1958, c’est abjurer et parjurer en même temps. Gouraud, Jules Ferry, Albert Sarraut, Charles de Gaulle et Jacques Foccart n’en auraient pas demandé autant ! La réconciliation dans la catharsis ne sied pas à de pareilles dates sacrées pour nation.
Enlevez le 4 juillet aux américains, le 14 juillet aux français, le 1er octobre aux chinois et observez ensuite leurs réactions respectives. Il en va ainsi des théâtres des drames et bouleversements de l’histoire. Ce n’est pas sans raison que vous entendez parler de Austerlitz, Curtatone, Dien Bien Phu, Lepanto, Kirina, Pettel Djiga, Solferino, Stanlingrad, Trafalgar, Waterloo et, n’oublions pas, Woyowayanko. Le destin de peuples et des nations bascule dans des lieux et à des dates précis. Sous-estimer la valeur hautement symbolique des lieux, dates et objets spéciaux marquant l’histoire, c’est permettre aux autres de nous accuser d’inculture.
Si le but déclaré adhère à l’intention réelle, choisissons une tout autre date pour de réconcilier les Guinéens: le 1er janvier, le 1er mai, le 14 novembre, etc… Le 28 septembre doit être respecté et célébré par tous les guinéens. C’est le jour où, la nation et ses élus doivent déployer l’oriflamme du patriotisme et entonner l’hymne national en chœur. Agir autrement, c’est malséant et ignominieux. Dans ce cas, l’histoire ne sera pas clémente envers ceux qui jettent aux orties les pages de noblesse de la nation et dans l’immédiat, le peuple leur criera dessus : bas les mains devant le 28 septembre !
Baltimore, le 28 septembre 2016
Dr. Mamadou Touré
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