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ENJEUX DE LA RÉINTRODUCTION DES LANGUES NATIONALES

scanned-office-depot-photo-jpg Les responsables guinéens de l’éducation nationale ont annoncé, il y a quelques jours, une importante décision qui est passée inaperçue: il s’agit du retour des langues nationales dans nos classes primaires. Selon El Hadj Bamba Camara, le ministre en charge de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues nationales, la réintroduction des langues nationales dans les classes primaires pourrait commencer la rentrée prochaine.

Dans la mesure où une telle entreprise engage de manière irréversible l’avenir de milliers d’enfants et par extension du pays entier, il me semble que sa mise en oeuvre devrait faire l’objet de débats sur son opportunité et ses modalités d’application. Une large consultation comprenant des éducateurs, des parents et des étudiants, devrait être engagée sur le sujet.

En matière d’éducation, l’un des échecs de la première république a été l’introduction hasardeuse des langues nationales dans nos classes primaires. Il en est résulté un gâchis total, la perte de toute une génération d’enfants dont le seul rêve était d’accéder à un enseignement de qualité.

C’est pourquoi les populations guinéennes, dans leur immense majorité, ont poussé un ouf de soulagement lorsqu’en 1984, les militaires ont mis un frein à cette expérience malheureuse. Nous croyions en avoir fini avec les décisions précipitées, de nature plus idéologique que scientifique, qui n’ont fait que détruire notre système éducatif.

Le drame est qu’en Guinée, on a longtemps confondu et continue de confondre deux activités de l'esprit assez différentes: l’alphabétisation des masses et l’éducation scolaire.  En général, l’alphabétisation s’adresse aux adultes. Son objectif est de  permettre à des gens qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, d’apprendre à lire et à écrire. Ses avantages sont multiples. Politiquement, un peuple lettré est un peuple facile à mobiliser. Sachant lire et écrire, les gens peuvent faire leurs choix politiques de manière plus consciente et plus rationnelle. La vulgarisation sanitaire est  aussi un domaine où l’alphabétisation s’est avérée  très utile. Les programmes de prévention, d’éradication sanitaire et de sensibilisation des masses sont plus faciles à effectuer parmi des populations lettrées.

A la différence de l’alphabétisation, l’éducation scolaire concerne des enfants. Son objectif primordial est de former les cadres appelés à diriger le pays. Dans certains pays africains, les langues nationales (arabes, swahili, hausa, yorouba, Ibo, etc…) ont été introduites dans l’éducation scolaire et coexistent parfaitement bien avec les langues européennes. Un certain équilibre, variable selon le pays, existe entre les langues nationales et la langue européenne utilisée comme langue officielle.

Mais ce qui est surtout intéressant dans ces expériences, c’est le degré de préparation qui a précédé l’introduction des langues nationales dans le cursus scolaire. Partout, l’enseignement des langues nationales a fait l’objet d’études sérieuses, de préparations des enseignants, de conceptions de matériels didactiques appropriés. En Guinée, sommes-nous aujourd’hui mieux préparés qu’il y a trente ans ? Rien n’est moins sûr. Les réunions, séminaires et conférences sur l’éducation ont tous abouti au même constat. Le système éducatif guinéen souffre de graves problèmes structurels : délabrement des locaux, préparation insuffisante des enseignants,  manque de matériels scolaires, forte concentration d’écoles et d’enseignants à Conakry, pratiques illicites (vente de notes, harcèlement sexuel, favoritisme), etc… Les mêmes causes produisant   les mêmes effets, personne, à vrai dire,  ne devrait   s’étonner aujourd’hui  de la baisse du niveau de l’enseignement en Guinée. La faute, bien sûr, n’est pas à l'administration actuelle. Mohamed Saïd Fofana et son gouvernement ont hérité d’une situation sérieusement compromise. Mais c’est leur obstination  à continuer sur la même pente descendante qui devrait nous inquiéter. Le  moment n’est pas encore venu de réintroduire les langues nationales dans nos programmes scolaires. Rien ne sert de courir. Si l’on veut vraiment faire un travail sérieux dans ce domaine,  quelques préalables s’imposent :

  1. Assurons d’abord la formation des enseignants qui, outre leur tâche traditionnelle, seront appelés à enseigner ces langues. L’erreur en la matière a consisté à croire que n’importe quel enseignant peut, sans formation pédagogique préalable,  enseigner sa langue maternelle. Même pour un professeur de français expérimenté, l’enseignement du Pular, du Malinké ou du Soussou, nécessitera  une préparation supplémentaire. C'est une illusion de prétendre enseigner une langue dont on ignore les articulations  phonétiques et la phonologiques.
  2. Mettons à la disposition des enseignants les laboratoires de langues et le matériel audio-visuel (livres, dictionnaires, vidéos, etc..) indispensables à l’enseignement des langues nationales. Ça n’a jamais été le cas en Guinée et c’est loin d’être le cas aujourd’hui. Ce ne  sont pourtant pas les moyens qui ont manqué. L’éducation nationale, comme d’ailleurs bien d’autres secteurs de la société, a longtemps souffert de la négligence de nos dirigeants.
  3. Enfin, faut-il enseigner toutes les langues guinéennes dans nos écoles ? Ce n’est pas impossible, mais c’est financièrement très coûteux. Au Nigeria par exemple, un pays d’environ 130 millions d’habitants et où on  dénombre plus de 450 langues, le gouvernement n’a retenu que les trois langues les plus importantes : hausa, yoruba et ibo. En Guinée, il faudra faire des choix. La décision peut s’avérer impopulaire. Mais nous n’avons aucune raison de continuer à enseigner une quinzaine de langues dans un pays de dix millions d’habitants.

Aujourd’hui, aucune des conditions nécessaires à la réintroduction des langues nationales dans nos écoles n’est réunie. Pourquoi donc ne pas surseoir à cette aventure  et œuvrer pour l’instant à l’amélioration  du système actuel dont on a déjà identifié les lacunes et les faiblesses? Qui trop embrasse mal étreint. A vouloir tout faire en même temps, on perd facilement ses repères.

Point n’est besoin d’insister ici sur l’importance de l’enseignement des langues nationales dans nos écoles. Les arguments sont bien connus. Les langues nationales sont les supports de notre culture. C’est à travers elles que s’exprime notre identité. Il ne s’agit donc nullement de leur  suppression de nos programmes scolaires.  La question qui se pose est celle de l’opportunité de leur réintroduction dans nos écoles et les conditions humaines et matérielles à remplir pour que l’expérience soit une réussite.

Si nous voulons offrir à notre jeunesse  un enseignement de qualité, commençons d’abord par renforcer l’éducation de base dans les matières fondamentales telles que le français, les mathématiques, la physique, la chimie, l’histoire, la géographie et deux ou trois langues étrangères optionnelles. L’enseignement des langues nationales peut, comme dans certains pays, commencer même au collège. Faisons en sorte que les produits de notre système  éducatif soit compétitifs, c’est-à-dire que nos diplômés aient les mêmes compétences que leurs homologues formés dans les écoles de la sous-région.

Enfin, il y a une réalité qu’il ne faut pas perdre de vue. Dans ce monde de la globalisation où les frontières terrestres deviennent de plus en plus caduques, un bon nombre de nos diplômés seront amenés, par choix ou par nécessité, à travailler dans des pays autres que la Guinée. Leur aptitude à s’insérer dans des environnements économiques et technologiques différents dépendra, dans une large mesure, de la formation de base qu’ils auront reçue. Il fut une époque où les étudiants guinéens faisaient la fierté de notre pays dans les universités étrangères. Je ne suis pas certain que ce soit le cas aujourd’hui. A qui la faute ? Sinon à nos dirigeants qui ont préféré se remplir les poches au lieu d’offrir à la jeunesse une éducation de qualité. Et savez-vous où étudient leurs enfants ? Dans les lycées, collèges et universités européennes et américaines. No comment !

Washington, DC

États-Unis d’Amérique


Mamadi Keita Babila

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