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Lettre Ouvrte aux Co-président de la commission de réflexion sur la réconciliation nationale.
L 12/Sept..SKK /2011
À Messieurs les Co-Présidents de la commission de réflexion sur la réconciliation nationale.
Conakry
Messieurs les Co-Présidents,
En attendant la mise en place, pour un débat de fond, de la commission de réconciliation nationale prévue par le gouvernement, j’ai l’honneur de vous faire tenir mes réflexions sur l’objet de votre mission.
Certes, vous n’êtes pas chargés de réconcilier les Guinéens, mais il nous semble nécessaire de nous reporter au dictionnaire pour avoir des définitions précises des mots réconcilier et réconciliation qui sont actuellement galvaudés.
Selon le dictionnaire le Petit Larousse illustré de 1996, P. 863
1.- Réconcilier, c‘est rétablir des relations amicales entre des personnes brouillées.
2.- Se réconcilier, c’est faire cesser le désaccord qui existait avec quelqu’un.
Mais pour mieux appréhender la réalité historique guinéenne, il faut plutôt parler de contentieux. Et selon encore le même dictionnaire (p.265), le contentieux est un ensemble de litiges et de conflits non résolus existant entre deux parties.
Donc, la réconciliation suppose soit un désaccord, une brouille entre deux personnes, soit des litiges ou conflits entre des groupes.
Dans le cas guinéen, les deux types existent. En effet, durant les 53 ans d’indépendance, la Guinée a connu deux régimes sociopolitiques différents (1958-1984 et 1984-2008), suivis d’une courte période de transition (2008-2010) ; Des Guinéens se sont brouillés et chacun de ces régimes a enregistré des plaintes devenues des contentieux qui continuent à empoisonner la vie politique guinéenne. Chacun de ces contentieux ne peut se régler que replacé dans son contexte véritable, pour écarter la perception et l’analyse fantaisistes des faits avec des œillères et des concepts en vogue en 2011.
La problématique de la réconciliation nationale se résume aujourd’hui dans cette question :
pour instaurer une paix véritable et définitive en Guinée et entre les Guinéens, comment résoudre les frustrations, les ressentiments nés de ces différents contentieux, y compris le contentieux entre les cadres de l’ Eglise catholique et les autorités de la première République (expulsion de Guinée des missionnaires étrangers en 1967, africanisation exigée et obtenue de l’Eglise catholique guinéenne, emprisonnement de Mgr Tchidimbo à la suite de l’agression du 22 novembre 1970, discours et homélies hostiles des cadres dirigeants de l’Eglise catholique guinéenne contre les autorités de la Première République ) ?
Nous n’avons que deux solutions pour y parvenir :
1.-Soit organiser, sous la présidence de cadres intègres et neutres désignés par le gouvernement, des assises ou rencontres de ‘’la bouche ouverte’’, qu’importe l’appellation, où des vérités seront dites pour panser définitivement notre plaie et permettre d’évoquer les causes des contentieux et leurs conséquences ; chacun parlera alors librement afin d’exorciser librement ses sentiments, en toute honnêteté, en avouant ou en relatant des faits réels ou concrets, c’est-à-dire vérifiables. Une commission nationale recueillerait en même temps les différentes contributions, les analyserait et élaborerait des propositions de solution résultant de l’examen des différents contentieux, en vue de les soumettre à l’appréciation des autorités compétentes.
2.- Soit mettre en place une commission nationale non exclusive, suffisamment représentative et scientifiquement étoffée, divisée au moins en trois sous-commissions
La sous commission contentieux de 1958-1984
La sous commission contentieux de 1984-2008
La sous commission contentieux de 2008-2010
Chaque sous-commission sera chargée de l’identification de ses contentions et des acteurs de sa période, de la collecte et de l’analyse des contributions sur ses contentieux et de faire, à la Commission nationale , des propositions de solutions que requiert l’étude des faits étudiés en son sein ; chacune écouterait ainsi toutes les interventions sollicitées par elle ou par des citoyens et recueillerait également toutes les contributions écrites en vue d’une analyse globale objective. Cela me parait d’autant plus logique que l’histoire de la Guinée n’est pas linéaire, mais séquentielle et les contentieux qui divisent les Guinéens et leurs auteurs ne sont pas les mêmes d’une période à une autre
Pour la sous-commission chargée de la période 1958-1984, il est indispensable de solliciter la collaboration des autorités françaises (ouverture et possibilité de consultation des archives relatives aux rapports franco-guinéens durant cette période y comprises celles du SDECE dont le Responsable du poste de Dakar couvrant la Guinée, entre 1955 et 1963, révèle qu’il a recruté des Honorables correspondants ‘’très coopératifs’’ et des agents très efficaces en Guinée dès la deuxième quinzaine d’octobre 1958) ; Cela permettrait de situer les responsabilités respectives des gouvernants et des individus, prouverait l’inculpation ou l’innocence de trahison dont certains cadres guinéens ont été accusés par les autorités guinéennes de l’ époque et que les écrits et autres témoignages de certaines personnalités politiques françaises et des agents du SDECE soutiennent.
C’est éventuellement après une telle rencontre contradictoire de mea culpa que la réconciliation véritable se ferait, que le pardon du peuple, de la nation, de la puissance étrangère impliquée dans les différentes tragédies ou des innocents pourrait être sollicité et éventuellement obtenu.
Messieurs les Co-présidents,
J’ai écouté et lu avec profit votre message ‘’Guinée, en route pour la réconciliation nationale’’ relatif à votre perception de la mission que le Chef de l’Etat vous a confiée et à votre stratégie pour l’accomplir ; il me semble inutilement long et escamoter l’histoire récente de notre pays.
Tout en étant d’accord avec vous que la réconciliation nationale est une évidente nécessité pour la Guinée qui veut se développer dans la paix et l’harmonie, je pense qu’il est nécessaire pour l’atteindre, de fonder toute approche objective et efficiente sur trois principes essentiels :
* Le respect du triptyque incontournable : vérité, justice et réconciliation.
* L’examen du bien fondé de la cause évoquée pour justifier la répression d’un acte, et non l’utilisation des conséquences comme cause de cet acte.
* La contextualisation des contentieux, car l’histoire de notre pays, nous l’avons susdit, n’est pas linéaire, mais séquentielle et les faits historiques peuvent se ressembler, mais ils ne peuvent pas avoir la même explication à cause du contexte nécessairement différent dans lequel ils se sont produits et déroulés. Cela évitera d’utiliser les mêmes mots pour qualifier les contentieux nés des différents régimes.
Nous sommes donc obligés, dans le cas guinéen, de placer, dans chaque période correspondante, les contentieux qui ont jalonné l’histoire de notre pays durant cette période et qui expliquent les rapports conflictuels qui sous-tendent encore nos rapports. Nous devons éviter de noyer le poisson et d’amalgamer les faits. Seule une telle vision peut permettre un examen sérieux, approfondi et de dégager des solutions appropriées pour chaque conflit.
C’est donc dire que nous ne devons pas réduire l’analyse des faits à l’examen simpliste et fantaisiste consistant à dire : réconcilions-nous parce que nous sommes tous coupables et tous responsables de la situation qui prévaut ; la réconciliation est une nécessité; (c’est moi qui ai fait telles choses, tel tort à telle personne, je lui présente des excuses et l’autre de répondre : je te pardonne; tout résulte des dérives des gouvernants; les gouvernements sont seuls responsables des contentieux). Tout aussi simpliste est la tentative d’extrapolation des faits répréhensibles ou le refus de situer distinctement les responsabilités collectives et personnelles ; s’accrocher à une telle approche, c’est décider d’empêcher les Guinéens de se réconcilier véritablement et définitivement en imposant un point de vue superficiel. Or, comme je l’ai souvent dit et écrit, une plaie masquée n’est pas une plaie guérie. Pour avoir toujours masqué la nôtre, celle-ci a fini par se gangrener. Et nous sommes aujourd’hui embarrassés dans la recherche des soins à prodiguer et empêtrés dans des difficultés qui s’amoncellent.
Après l’échec prévisible du CNT et de sa commission ad hoc, parce que certains de leurs membres avaient voulu être juges et parties, je suis de ceux qui étaient heureux d’entendre le chef de l’Etat parler de la nécessité de la ‘’vérité’’ en vue d’une réconciliation définitive parce que véritable.
Mais j’ai commencé à me poser des questions quand le Premier ministre s’est complu à présider des ‘’mamayas’’ où l’on croyait avoir réconcilié les Guinéens après quelques interventions creuses et inutiles sur des évidences (nécessité de la réconciliation nationale, sans la paix ou la sécurité, il n’y a pas de développement, etc. ), la récitation de la Fatiha et la lecture du Coran clôturant les cérémonies. Or, comme je l’ai écrit à monsieur le Premier ministre ‘’ce ne sont pas les prières et autres incantations religieuses, les lectures de coran ou de la Bible, les séminaires et autres ateliers orientés et dépourvus parfois de tout intérêt social ou moral qui réconcilieront les Guinéens avec eux-mêmes’’. Ils pourront certainement adoucir les mœurs et ramollir l’ardeur combative de certains afin que les prochains recensements et élections législatives se déroulent dans une Guinée apaisée ; mais ne continuons pas à nous leurrer : les contentieux demeureront et continueront à conditionner l’attitude de certains, sans un débat public contradictoire sur les causes véritables des contentieux et leurs conséquences ». Nous avons entendu de ceux qui se disent avoir été victimes sous l’un des régimes, cette prise de position catégorique : ‘’sans un débat contradictoire, de réconciliation, il n’y aura point’’.
J’ai été encore plus inquiet quand le chef de l’Etat a rapporté les propos des ‘’sages’’ qui déconseilleraient toute assise sur la vérité et la réconciliation, telle qu’il l’envisageait.
Or, je suis convaincu qu’en Guinée, seule la vérité historique, publiquement et contradictoirement débattue, sera conciliatoire puisqu’elle seule nous mènera à la justice, à la compréhension, au compromis et au pardon: certains se tairont ou quitteront définitivement la Guinée parce que confondus, d’autres relativiseront leur certitude et leur jugement parce que mieux informés. L’on pourra alors réhabiliter les vraies victimes et le cas des coupables du forfait à l’origine du contentieux sera examiné et réglé.
Ce débat public nécessaire, qui serait notre propre voie, ne provoquera aucune conséquence négative, aucune violence particulière contrairement à ceux qui épouvantent avec la possibilité d’un remous social non maitrisable chaque fois qu’il est évoqué : la majorité des Guinéens, abreuvée de toute sorte de mensonges depuis le 3 avril 1984, en a assez des tergiversations et de ces mensonges à l’origine du pourrissement de nos contentieux; elle est décidée aujourd’hui à débattre sereinement de tout ce qui divise les Guinéens afin de s’atteler au développement et au rayonnement de son pays et de militer ainsi autant que possible dans l’unité et ardemment pour le slogan : ‘’La Guinée is back’’.
Et c’est en cela que j’ai apprécié cet extrait de Monseigneur Vincent Coulibaly, qui ne s’appuie pas sur la seule Bible pour tenter de convaincre les Guinéens sur la nécessité de nous pardonner mutuellement après une saine explication. Sa froide et profonde analyse de l’histoire récente de notre pays l’avait amené en 2009 à la conclusion suivante :
‘’Dans notre pays, tout le monde parle de paix, mais de quelle paix voulons-nous ?… Beaucoup veulent… que tout le monde soit d’accord à condition que tous acceptent leurs idées à eux. Or, la paix, ce n’est pas l’uniformité, mais la richesse de la différence en acceptant les idées de tous et en se complétant. Elle suppose l’écoute de l’autre et le respect de tous.
Dans la situation actuelle de notre pays, poursuit l’Archevêque de Conakry, on ne peut pas se contenter de dire ‘’oublions le passé, faisons la paix, réconcilions-nous’’. Aujourd’hui, il est plus que jamais urgent qu’un mécanisme soit défini qui permette à tous les Guinéens de s’asseoir autour d’une même table pour dialoguer franchement. Il faut se parler et lutter contre le mensonge et les injustices qui sont, pour la société guinéenne, le poison mortel à éradiquer.
…La vérité est seule capable de libérer le cœur de ceux qui se réclament de Dieu. Le peuple de Guinée qui est peuple croyant a besoin d’une paix véritable’’ (Extrait de l’Homélie de décembre 2009).
Et c’est à l’exposé détaillé de cette approche auquel je m’attendais, quand j’ai été appelé à suivre l’intervention de la coprésidence à la radio d’abord et à la télévision ensuite.
C’est dire que nous sommes condamnés à mettre en place une ‘’commission vérité, justice et réconciliation’’, un triptyque incontournable, et à contextualiser les contentieux si nous voulons procéder à une analyse objective des faits en vue d’une réconciliation véritable et définitive avec nous-mêmes et par nous -mêmes.
Refusons de perdre du temps et n’acceptons surtout pas qu’on nous focalise sur les contentieux électoraux récents et conjoncturels. C’est un piège à éviter à tout prix.
Ne nous voilons pas la face : tout le monde sait qu’il y a des contentieux historiques plus profonds qui rongent la Guinée. Je suis convaincu que pour les surmonter, il faudra des débats tout aussi profonds afin d’exorciser définitivement certains sentiments revanchards connus ou dissimulés. Refusons de bâcler ce débat, de l’escamoter.
Certains éléments à l’origine, ou acteurs desdits conflits ne souhaiteraient–ils pas en réalité qu’on aborde ces conflits, ne voulant pas être démasqués ? Ne les suivons pas si nous voulons la réconciliation réelle et définitive des Guinéens.
Enfin, la réconciliation nationale tant souhaitée ne pouvant être désormais que le résultat d’un long processus, parce que, comme je l’ ai susdit, la plaie qui a été masquée pendant longtemps, a presque fini par se gangrener, il est indiqué de se donner le temps nécessaire (un an au moins, avec des réunions périodiques de compte rendus des différentes sous-commissions) et de prévoir l’inclusion des députés prochainement élus dans les sous-commissions proposées et non des membres d’un CNT qui a échoué dans sa tentative de réconciliation nationale, parce que cette tentative était orientée , et dont les membres sont illégitimes parce que non élus par le peuple, source de tout pouvoir souverain ; cela permettrait d’analyser profondément les résultats des travaux des trois sous-commissions et de proposer, à la haute appréciation des autorités, les solutions que suggère l’ étude desdits contentieux .
Je suis heureux que la commission de réflexion ait demandé un minimum de retenue d’ici là et l’interdiction formelle d’évoquer lesdits contentieux dans les meetings, les assemblées des formations politiques, la presse écrite et en ligne, à la radio, à télévision ; mais il est nécessaire de prévoir, dès à présent, de sévères sanctions contre le ou les contrevenants.
Messieurs les Co-présidents,
La Guinée a déjà raté une belle occasion de réconcilier ses fils avec eux-mêmes, entre eux et par eux-mêmes au lendemain du coup d’Etat militaire du 3 avril 1984, alors que les conditions nécessaires étaient remplies :
* L’étude des archives du Président de la Première République Ahmed Sékou Touré, des Services de Sécurité et des Forces Armées , restée intactes, nous aurait permis de nous faire une idée précise des complots dénoncés et dont la répression qui en résulta est à l’origine , en partie, des contentieux de la période 1958-1984.
* Les éléments accusés d’avoir fait subir des mauvais traitements aux prisonniers du Camp Boiro étaient tous vivants et présents en Guinée; le CMRN aurait pu organiser, comme le souhaitait la majorité des Guinéens et pour se démarquer du régime précédent, une conférence de réconciliation nationale, qui aurait permis d’innocenter les vraies victimes et de sanctionner ‘’les tortionnaires’’ et ‘’bourreaux’’.
Il n’ y aurait certainement pas eu les évènements du 4 juillet 1985.
* Presque tous les cadres de la diaspora, accusés d’avoir participé à l’organisation aux côtés des services secrets occidentaux des complots étaient encore vivants et presque tous présents à Conakry ; ils pouvaient témoigner et nous aider à innocenter ou à culpabiliser nombre de prisonniers du camp Boiro, puisque certains d’entre eux ont soutenu qu’ils travaillaient avec des éléments de l’intérieur contre la Première République.
Les autres tentatives de nous réconcilier, ont toutes échoué parce que ceux qui étaient chargés de la définition des termes de référence du projet d’une Commission de réconciliation nationale faisaient eux-mêmes partie des contentieux et avaient fini par se dévoiler et prendre partie pour l’un des groupes en conflit.
Je suis de ceux qui souhaitent que vous évitiez d’avoir une telle attitude et que vous réussissiez votre mission : Vous êtes des religieux, chargés d’orienter et non d’influencer ; de rechercher la vérité des faits car, Dieu est d’abord VERITE.
Croyez, messieurs les Co-présidents, en l’expression de ma haute considération.
Sidiki kobélé Keita Professeur d’Histoire
Ancien chef de Cabinet civil de la Présidence de la 2e République
Tél. : 64.21.11.78
E-mail: sidikobe@yahoo.fr
Sidiki kobélé Keita
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